Chronique
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Chronique #4 : un pianiste au Festival...
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- Le 04/11/2015
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Voici venu novembre et, avec lui, la nouvelle édition de l'Arras Film Festival, où avant-premières, inédits, hommages et rétrospectives se côtoient à travers une sélection de 120 films. C'est dans cet écrin cinématographique exceptionnel que j'ai la chance d'évoluer pour présenter en Ciné Concert les deux films muets de cette année. Ils sont programmés dans le cadre des rétrospectives sur « la Grande guerre » pour Une page de gloire de Léonce Perret (France – 1915 – 60') et sur « l'Irlande d'un conflit à l'autre » pour « l'homme d'Aran » de Robert Flaherty (USA – 1934 – 1h13).
Artiste Associé du Festival (avec lequel je chemine depuis maintenant douze ans), j'ai pu parallèlement aux découvertes cinématographiques, additionner les expériences musicales, explorer et élargir le champ des possibles : tête à tête avec le film depuis mon piano, ou bien en duo, trio, quartette musical, accompagné par la complicité inspirante d'un public aux yeux grands ouverts et toujours fidèlement à l'écoute. Et c'est tout naturellement que cette trajectoire a croisé il y a quatre ans le partenariat déjà en place entre le Festival et le Conservatoire de Musique d'Arras. Alors, en compagnie des musiciens du conservatoire (professeurs et élèves), mon travail s'est élargi à la transmission de cet Art, à travers une résidence Ciné Concert clôturée à la fois par le désormais traditionnel deuxième ciné concert présent dans chacune des éditions, et par une validation de diplôme pour les élèves musiciens : le rêve !
Concrètement donc, sont associées chaque année aux deux films muets présentés, (très différents par eux-même : un documentaire et une fiction patriotique pour 2015), deux formations musicales parfois aux antipodes : j'ai par exemple dirigé lors de la précédente édition un orchestre dont les membres, issus de trois pays (Angleterre, Allemagne et Belgique), ont été accueillis dans les rangs des musiciens du Conservatoire d'Arras. Nous jouions sur un film de 1914, Maudite soit la guerre. Parallèlement, j'accompagnais également le J'accuse d'Abel Gance au piano solo.
Paradoxalement, la dissemblance de ces deux formes (orchestre ou solo), qui pourrait à première vue inspirer quelque chose comme un grand écart artistique, se révèle être à l'inverse un puissant élément de réponse à la singularité du message qui émane de chacune de ces œuvres cinématographiques signées par des réalisateurs du passé. En effet, il s'agit pour chaque film muet de libérer l'énergie créatrice « toujours en cours » que lui a insufflé son créateur, en prenant bien garde de ne pas recouvrir cette énergie du voile d'un regard qui serait par trop hautain, lointain ou distrait.
C'est ainsi que pour un orchestre ou même pour un ensemble plus réduit (neuf musiciens cette année), le croisement, la convergence ou le choc des différentes approches permet de prendre le temps avant d'agir musicalement. Le temps de recevoir le film, de s'en imprégner, de mettre en perspective son propre sentiment avec celui des autres, de partager ses connaissances pour mieux s'ouvrir au contexte historique, sociologique, artistique de l'époque qui a vu naître l’œuvre, (et par là même, par comparaison, mieux connaître notre propre époque contemporaine qui accueille cette séance où officient des musiciens de différentes générations). En un mot, il s'agit d'être un spectateur (mélomane), avant de laisser la place au seul musicien.
Ce travail d'écoute, de réflexion et de décision qui nourrit la partition finale pour orchestre ou petite formation perdure, comme perdure une empreinte dans la neige, lorsque je me retrouve seul au piano pour concevoir la musique du second film. Une partie de l'énergie née du collectif, en restant profondément ancrée en moi, me dirige à son tour et m'interdit de facto de restreindre idées et réflexions de départ au cadre borné (ou que je suppose tel) de mes propres capacités musicales ou instrumentales. Il s'agit alors de penser « contre soi-même », d'écouter et pas seulement entendre les tournures d'esprit qui affleurent et ne demandent qu'à se métamorphoser en « tournures musicales ».
Ainsi la proximité de ces deux configurations, du solo à l'orchestre, génère naturellement une esthétique singulière née de la convergence ou du choc. Esthétique musicale à même de dévoiler, quand tout s'articule ainsi, le film du passé au musicien d'aujourd'hui, le réalisateur d'antan au spectateur de maintenant. Avec pour souci premier la réception de l’œuvre par le public, que ce public soit d'hier ou d'aujourd'hui, d'ici ou d'ailleurs : l’œuvre est faite pour ça ! Ainsi, il s'agit de vivre au plus juste, au plus près, au plus sensible, l'aventure collective proposée par la séance où la musique, le film, le (ou les) musicien(s) et spectateurs sont emportés par la puissance évocatrice portée par le Ciné Concert.
En cheminant vers le terme de cette quatrième chronique qui a tenté d'éclairer le plus fidèlement possible la phase précédant la tenue de Ciné Concerts, il me reste à préciser que si le mot « préparation » semble rimer avec le mot « écriture », il s'agit ici plus d'écriture de structures mentales, de réflexions singulières ou générales (comme celles que ce texte permet d'ordonner par exemple). Bref, et cela paraît encore paradoxal, il s'agit d'élaborer une sorte « d'habitus » propre non pas à écrire une partition mais bien plutôt à libérer l'improvisation musicale, demandée, réclamée, imposée par la forme même du Ciné Concert (dont l'antithèse est la musique de film enregistrée).
Cela dit, le terme improvisation est tellement un « mot-valise »1, que cet angle mérite à lui seul un éclairage approfondi. Éclairage qui fera donc l'objet de la prochaine chronique.
Mais en attendant, rendez-vous au Festival !
C'est à Arras du 6 au 15 novembre 2015.
DÉTAIL DES SÉANCES
CINÉ CONCERT
1 - L'homme d'Aran : mercredi 11 novembre 2015 à 14h30 – Petite formation,
Casino d'Arras2 - Une Page de gloire : samedi 14 novembre 2015 à 14h30 – Piano solo,
Casino d'Arras3 - Une Page de gloire : jeudi 19 novembre 2015 à 20h15 – Piano solo,
Festival Hors-les- murs au Cinéma Le Régency, Saint-Pol-Sur-TernoiseProchaine chronique publiée
vers le 17 novembre 20151 que l'on utilise « comme on met un costume, et un costume [….] c'est le contraire d'une pensée : il est parfait si nul n'y pense, ni celui qui le porte, ni l'entourage ». Citation extraite de L'humanisme, essai de définition par Fernand Robert ; éd. Les Belles Lettres – Paris – 1946 / page 11